Le rôle de personne ressource : un premier ancrage relationnel pour réformer son parcours

Viaduc de Millau crédit photo : D. Jamne pour CEVM

Dans les interstices d’un processus de changement où l’on renonce aux ressources présentes dans la délinquance pour s’orienter vers un mode de vie plus conventionnel – autrement dit une trajectoire de désistance – apparaît régulièrement un intervenant à l’action parfois ponctuelle mais néanmoins centrale : il s’agit du rôle de personne-ressource. La notion trouve ses racines étymologiques dans le mot secours et traduit le rôle d’intermédiaire qu’endosse un acteur à un moment donné pour aider autrui dans son parcours. 

On peut retracer son émergence dans la gestion des ressources humaines. Les qualités d’une personne ressource sont notamment reconnues dans des structures dites « agiles » (Badot, 1998, Barrand, 2006) pour répondre aux cycles d’innovation rapides de l’économie numérique. Moins fondée sur l’autorité verticale et permanente que sur celle temporaire et spécifique de la maitrise d’une compétence, la légitimité d’une personne-ressource est assise sur sa capacité à répondre à une demande sur un sujet donné.

On mobilise également l’idée d’une personne-ressource dans les sciences éducatives pour parler des maitres spécialisés dans le soutien pédagogique des enfants à besoins spécifiques. Il est question d’une personne capable d’appuyer les enseignants dans un domaine, de faire bénéficier efficacement ses collègues de son savoir spécialisé. Le concept est également employé dans le domaine de la santé. Dans une analyse du rapport entre le patient et l’infirmier(e) ce rôle de ressource est aussi défini comme pourvoyeur d’informations utiles, de réponse à des questions spécialisées : c’est une personne capable de faire l’interface entre l’univers médical et le patient (Peplau, 1995). 

Au Québec, de nombreuses recherches mettent l’accent sur la dimension relationnelle du processus de désistance à travers le concept de désistement assisté (F-Dufour, 2020) « le désistement est un processus transactionnel et relationnel, nourri et soutenu par des interactions positives et réciproques entre le futur désisteur et les différents systèmes au sein desquels il évolue ». C’est la réunions des interventions formelles (suivi pénal, programme de réinsertion et de prévention de la récidive) ainsi qu’informelles (soutien des proches, tissage de relations pro-sociales à travers des hobbies et des sphères d’activités nouvelles, éloignement des anciens pairs contrevenants…) qui confortent le mieux le processus de désistance.

Au cours des entretiens menées durant une thèse sur les processus de désistance en France (Benazeth, 2021) les probationnaires rencontrés citent les qualités suivantes pour désigner des professionnels qui ont eu un impact sur leur parcours : l’authenticité, la fiabilité, l’humanité, l’investissement. Leur apport premier consiste à rompre la grammaire habituelle des échanges entre un environnement institutionnel négativement perçu et un individu contraint de s’y conformer. D’un point de vue sociétal, le but est également que la personne ressorte meilleure après une période de suivi, qu’elle ait pu évoluer et retirer quelque chose de ce passage pénal pour in fine mieux garantir son insertion dans un mode de vie conventionnel et donc la protection de la société. Être traité avec respect et dignité dans des espaces qui habituellement rabaissent les désistants amorce déjà un changement. Un des freins repérés par la sociologie dans l’objectif de réinsertion des institutions pénales est le maintien d’un stigmate même longtemps après avoir purgé sa peine. Une personne ressource traite un désistant comme tout autre usager, lui fait sentir qu’il redevient un citoyen ordinaire. Cela contribue à estomper cette marque infamante que le langage ou les enregistrements étatiques peuvent colporter (Benazeth, 2022). Recevoir une parole fiable et authentique poursuit cette dynamique. 

D’un point de vue sociologique, on peut l’appréhender comme un relais, un point nodal dans un parcours ou un réseau d’acteurs qui va permettre le passage d’une préparation au changement vers ses premières tentatives de mise en œuvre. Une personne ressource est un acteur qui par une suite d’actions cohérentes, démontre son engagement, s’écarte du traitement indifférencié et impersonnel d’un cas et parvient sans devenir déviant pour autant à faire bouger les lignes du cadre qui régissent son action. En bref, c’est quelqu’un qui par le respect et la confiance qu’il accorde à la personne concernée parvient à désinstitutionnaliser le cadre pour investir la relation. Ce premier gage de confiance mis dans la balance est souvent rendu. 

On retrouve ainsi le développement d’une sorte de don/contredon (Mauss, 1923), qui s’applique à une trajectoire de désistance. Il est perçu et rétribué, il enclenche une dynamique positive, où la personne suivie se sent redevable. Certaines évoquent une forme d’apprentissage de nouveaux principes, une loyauté qui s’amorce et qui tranche avec les valeurs de la délinquance. À l’image du concept de Mauss, il est source de la création et du renouvellement d’un lien social. En ce sens, cet échange peut représenter un premier point d’ancrage pour amorcer le transfert de normes et de valeurs depuis l’institution vers le probationnaire. Pour qu’un tel appui puisse exister, il faut réunir plusieurs éléments : la posture professionnelle, l’investissement personnel et des marges de manœuvres suffisantes

Certains conseillers de probation déclarent ainsi se refuser à prendre connaissance des faits juridiques reprochés aux désistants qu’ils encadrent lors de la première entrevue. Ils veulent privilégier le suivi d’une personne et non d’un dossier. Ils reviendront bien évidemment ensuite aux faits et aux antécédents avec le ou la probationnaire. Ils appliquent cependant ce que plusieurs études criminologiques sur la désistance (Bottoms, 1979 ; Mcneill, 2006) ont pu relever comme une approche plus constructive et centrée sur les désistants : déplacer la focale et se concentrer sur les particularités, les besoins les forces et les obstacles inhérents aux parcours en cours de changement. Cela requiert la liberté de ne pas se concentrer uniquement sur les obligations pénales. On peut cependant déplorer que cette approche, malgré les multiples sources qui en font état, n’ait toujours pas trouvé d’application systématique, au-delà d’une volonté personnelle du professionnel de s’y essayer. 

Du point de vue individuel, construire une posture de personne-ressource requiert la capacité à se dissocier du seul traitement administratif et impersonnel pour entrer dans l’individualisation de la relation. Pour que cette combinaison particulière opère, ce qui est sous-jacent, c’est une rencontre avec quelqu’un qui va faire plus que son simple « job », et va mettre le probationnaire suivi dans une position où il va augmenter son degré de motivation et de sérieux pour se placer à la hauteur des efforts et des exigences du conseiller. Beaucoup de désistants en témoignent, le rappel du cadre et parfois la réprimande, ne leur étaient pas néfastes : ils ont parfois besoin de se confronter à ces bornes. En les leur opposant à des fins positives, les conseillers ne témoignent pour eux que de l’investissement d’un professionnel qui tord son cadre pour aider un justiciable à se recomposer. La perception par le probationnaire d’un tel engagement constitue un point crucial d’un accompagnement réussi. Cela exige néanmoins du temps et de l’investissement personnel que la charge de travail qui incombe aux conseillers ainsi que les doctrines d’intervention ne favorisent pas forcément au sein de l’administration pénitentiaire. Surtout depuis la mise en œuvre de la nouvelle gestion publique (RGPP, LOFL) ou encore des évolutions liées à des scandales médiatiques (affaire Laëtitia Perrais en 2011 à Pornic) la rationalisation du traitement des usagers et des procédures pour accompagner les personnes sortantes du système carcérale a surement pesé contre le développement de telles pratiques. 

Or à l’échelle structurelle pour s’essayer à la posture de personne ressource, il faut également résister à l’injonction quantitative de faire mieux avec moins, tout en démontrant son impact sur des variables humaines qui demeurent peu traduisibles par des facteurs observables (indicateurs chiffrés). Qui plus est dans des séquences temporelles très courtes, alors même que des recherches expliquent comment la probation fonctionne comme une graine latente portant des fruits au bout de plusieurs années (Farrall et al., 2014). On parle d’un changement exhaustif de mode de vie et il faudrait pouvoir en attester à l’issue d’un ou deux ans de probation, la mission semble ainsi vouée à un échec prématuré. L’orientation de la formation ainsi que l’évolution du concours sélectionnant les futurs CPIP ont tendance à renforcer cette dynamique. De profils divers avec des formations issues des branches de l’accompagnement social, des savoirs psychologiques, la tendance est plutôt à l’uniformisation avec une dominante juridique (Larminat, 2012). Ce qui conforte l’approche administrative et institutionnelle de l’accompagnement.

Il transparait donc que depuis l’intérieur des institutions, la posture de personne-ressource demeure assez précaire à maintenir. Heureusement ce rôle n’est pas réservé à l’accompagnement institutionnel et formel. Comme la notion de désistement assisté le situe clairement, les appuis viennent aussi de l’entourage, des proches, moins proches, réseaux de socialisation plus faible mais plus étendu (la force des “liens faibles”), de différentes institutions fréquentées, à partir du moment où cela renoue un dialogue et des échanges de ressource. Un cousin employé dans le secteur a ainsi soutenu un enquêté dans sa démarche de retour à l’emploi et fourni un contact inespéré pour retrouver un premier poste dans une boulangerie industrielle. Un ami boxeur à régulièrement incité un ancien probationnaire à s’essayer à la boxe et l’a orienté vers des ressources pour commencer un entrainement sérieux qui ont abouti à la signature d’un contrat professionnel. Une belle sœur aide très souvent un autre à faire ses démarches, à prendre soin de son apparence, à persévérer dans sa recherche de formation et d’emploi. La femme d’un dernier lui a facilité le passage à l’informatique après des années en prison qui l’avaient laissé complètement profane sur le sujet. 

Ce sont toutes ces multiples opportunités de reconnexion qui forment l’apport principal des personnes-ressources. Elles jouent un rôle d’aiguillage dans un parcours et aboutissent à la concrétisation de nombreux efforts concédés, à persévérer là où seul on aurait abandonné. Tout un ensemble de soutiens qui jalonnent des processus de changement. 

D’ailleurs on pourrait relier ces rôles à des trajectoires plus classiques : qui n’a pas bénéficié d’un mentor, d’un conseil, d’un intermédiaire pour relever le défi d’une réorientation professionnelle ou pour mener une période de vie dans un autre pays ou une région inconnue ? La méthodologie en sociologie inclut de rechercher des alliés qui ouvrent les portes d’un autre monde social à explorer (Kaufmann, 1996). 

Outre banaliser ce qui peut pour la compréhension être rapproché d’une reconversion, il y a aussi à travers cette notion de personne-ressource un intérêt à mieux ajuster les attentes sociales qui pèsent sur de tels changements. On aurait alors moins de mal à considérer que changer de vie prend plus de temps que ne l’exige un programme de réinsertion et son dispositif d’évaluation à compléter dans l’année. Il serait alors plus facile de concevoir que les ruptures biographiques majeures connaissent des flux et des reflux et que la consolidation d’un nouveau mode de vie ne peut se faire qu’avec l’aide de nombreux appuis, d’ordre institutionnel ou moins formels.

On pourrait alors faire ressortir quelques spécificités des processus de reconversion du crime : qu’il est par exemple nécessaire de recruter plus d’alliés, de prendre plus de temps pour se préparer au changement d’univers à opérer, qu’un préalable d’investissement sur soi, sur le renforcement de son capital humain est généralement plus important. Car ces acteurs décloisonnent souvent des milieux considérés comme « imperméables » et doivent trouver la souplesse et les dynamiques nécessaires pour faire à nouveau circuler des ressources qui restaient indisponibles voire reniées aux désistants encore marqués du stigmate de la délinquance.

Bibliographie :

Benazeth, V., (2021), Comment s’épuise le crime : contextes, parcours et représentations des processus de désistance sur le territoire parisien, thèse de doctorat, université de Paris-Saclay.

Benazeth, V., (2022), Itinéraires des processus de désistance, Questions pénales, CESDIP.

Badot, O., (1998), Théorie de l’entreprise agile, Paris, L’Harmattan.

Barrand, J., 2006, Le Manager agile, Paris, Dunod.

Bottoms, A. et McWilliams, W. (1979). A non-treatment paradigm for probation practice. The British Journal of Social Work, 9 (2), 159-202.

F.-Dufour, I. & Villeneuve, M.-P. (2020). Introduction : le désistement assisté : ce que c’est et comment ça marche. Criminologie, 53 (1), 7–17.

Farrall, S., Hunter, B., Sharpe, G., Calverley, A., 2014, Criminal careers in transition, The social context of Desistance from crime, Oxford University Press.

Kaufmann, J.-C., (1996), L’entretien compréhensif, Paris, Nathan.

Larminat de, X., (2012), La probation en quête d’approbation : l’exécution des peines en milieu ouvert entre gestion des risques et gestion des flux. Thèse de doctorat, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

Mauss, M., (1923-1924), Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, L’année sociologique, 1, 30-186.

McNeill, F. (2006). A desistance paradigm for offender management. Criminology & Criminal Justice: An International Journal, 6 (1), 39–62.

Peplau, H., 1995, Relations interpersonnelles en soins infirmiers, Paris, InterEditions.

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