Définir la désistance, un concept débattu et dense

À l’opposé de l’image usuellement véhiculée dans les représentations médiatiques et l’opinion publique, la grande majorité des personnes impliquées dans la délinquance finit un jour par en sortir. Tel est le savoir principal qui ressort des études longitudinales de cohortes d’individus autrefois contrevenants (Glueck et Glueck, 1951 ; Sampon et laub 2003 ; Shapland et Bottoms, 2011 ; Farrington, 2007 ; Farall et al., 2014). 

C’est le processus que l’on désigne par le terme de désistance. Du latin desistere, s’abstenir de, renoncer à, cesser de^[1], le verbe est d’usage commun en français sous sa forme pronominale, on se désiste d’un engagement pris, on renonce à une place réservée ou à un droit attribué. Dans la sociologie des déviances, cela consiste à renoncer à l’agir délinquant et à mettre progressivement fin à une carrière structurée par les ressources disponibles dans le milieu de la délinquance. Ces ressources ne sont pas négligeables dans une trajectoire de vie marquée par la disqualification sociale, économique et territoriale. Le sacrifice est important car la délinquance permet de drainer des revenus rapides et de revaloriser son statut social et symbolique. 

La désistance consiste donc à changer de mode de vie, de faire et de se représenter. Ce changement implique des réorientations bien au-delà du périmètre pénal. Désister, ce n’est pas seulement ne plus délinquer, autrement dit, arrêter de commettre des actes de délinquance (ne plus réitérer ou récidiver). Il s’agit d’un réajustement de ses capitaux cognitifs, sociaux, économiques et symboliques. Un travail de fond est donc nécessaire afin de préparer une trajectoire de désistance dont les premières tentatives sont souvent semées d’obstacles et de régressions temporaires. Il faut pour cela réunir des ressources et les investir dans des circuits d’opportunités pour les valoriser. Une part incompressible de hasard demeure à l’œuvre durant ce processus.

Dans la construction d’un parcours de désistance, se présente une refonte de la manière de construire son identité, de concevoir son projet de vie et de s’orienter vers des moyens légaux pour atteindre des aspirations communes à la majorité conventionnelle telles que constituer un patrimoine, entreprendre une activité épanouissante, soutenir sa famille et avoir des enfants.

Dans ce cadre, une modification des perceptions dominantes sur l’importance de la capacité de consommation et de l’autonomie dans une trajectoire de vie sont à entreprendre. Le culte de l’argent est à déconstruire. Il faut démonétiser le prestige de ne pas se soumettre au travail, au déterminisme d’une économie tertiaire qui assigne souvent les personnes d’origines modestes habitant des espaces relégués à des statuts subalternes.

Une recomposition de ses réseaux de relations est régulièrement entreprise, il faut accéder à des cercles sociaux différenciés de son lieu habituel d’activité pour jeter des passerelles et mettre pied dans un autre univers avec une volonté renouvelée d’y réussir son parcours. Il existe fréquemment un relai interpersonnel qui aide à créer ce passage. Certains auteurs parlent d’ailleurs du processus de désistement assisté (Dufour et Villeneuve, 2021). Une personne ressource se dégage ainsi et s’investit plus que la moyenne, un professionnel désinstitutionnalise son cadre pour soutenir l’effort du désistant, une connaissance fait accéder à une ressource clé, un personnel associatif reconnaît sans réserve la capacité à changer, son agentivité.

Voilà encore une notion qui fera l’objet d’une définition à venir. Cette tentative de définition n’épuise d’ailleurs pas les nombreux débats qui traversent les recherches sur la désistance. Ceux-ci demeurent encore à trancher pour savoir si ce sont des facteurs ontogéniques (vieillissement, contrôle sur soi) ou des structures sociales qui président au changement de parcours ? Les causes sont-elles plutôt uni ou pluri-factoriels ? S’agit-il plus d’un choix (hook for change de Giordano et al.)) ou de tournants de vie (turning points de Sampson et Laub) ? ou encore d’une accumulation de paris subsidiaires qui sédimentent le changement de parcours (Benazeth, 2021). Combien de temps faut-il pour parler de désistance ? un an, cinq ou dix ? suffit-il de ne plus être arrêté ou incarcéré pour désister ? Ou au contraire doit-on dépasser la simple réitération pour explorer dans la séquence postpénale si la personne a bien cessé de commettre toutes infractions ? ou d’avoir tout type de comportements antisociaux ? Comment a-t-elle dès lors réorienté son mode de vie ? sur quel pilier repose désormais son équilibre et son activité ?

À vos commentaires, qu’est-ce qui selon vous synthétise le mieux la notion de désistance ? 

Benazeth V., 2021, Comment s’épuise le crime, contextes, parcours et représentations des processus de désistance sur le territoire parisien, thèse de doctorat, université de Paris-Saclay.

F.-Dufour I., Villeneuve M-P., 2020, Le désistement assisté : ce que c’est et comment ça marche, Criminologie, Volume 53, numéro 1, printemps 2020

Farrall S., Hunter B., Sharpe G., Calverley A., 2014, Criminal careers in transition, The social context of Desistance from crime, Oxford University Press.

Farrington D., 2007, Advancing Knowledge About Desistance, Journal of contemporary criminal justice, 23, 1, 125-134.  

Giordano P. C, Cernkovich S. A, Rudolph J. L., 2002, Gender, crime, and desistance: Toward a theory of cognitive transformation. American Journal of Sociology, 107, 4, 990–1064

Glueck S., Glueck E.T., 1951, Unraveling juvenile delinquency, Cambridge, Harvard University Press. 

Sampson R. J., Laub J. H, 2003, life-course desisters? trajectories of crime among delinquent boys followed to age 70, Criminology 41, 3, 301-340. 

Shapland J., Bottoms A., 2011. Reflections on social values, offending and desistance among young adult recidivists. Punishment and Society, 13, 3, 256-282. 

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^[1] https://www.cnrtl.fr/definition/désister